A l'aveuglette...

Le démon était enfin prêt à quitter le royaume des Aërs, mais il devait obligatoirement passer par la Grande Arche pour cela.
La magie du lieu ne l'émut nullement, il trouvait cette tradition ridicule et inutile. Il passa donc sous l'arche les mains dans les poches, histoire d'en finir rapidement.
Mais voilà qu'un ange, à quelques mètres devant lui, dégaine un grand sabre et lui demande de se présenter...
Enfin, Adonis supposa que c'était à lui qu'il parlait, bien qu'il ne fut pas tourné vers lui, puisqu'il était le seul dans les environs.
Il fut tenté d'enlever l'arme des mains de l'ange, mais au vu de ses origines démoniaques la relation serait déjà tendue, alors ce n'était pas la peine d'en rajouter... Tout du moins pas pour le moment.
Il mit donc ses mains dans son dos, pour bien se redresser et avoir de la prestance, et avança vers l'ange. Quand il fut tout près de lui, il lui parla, pour le faire se retourner vers lui :

Votre façon de vous présenter n'incite guère à un échange amical, ne trouvez-vous pas ?

Sa voix se fit plus froide, et un brin méprisante.

Je croyais les anges pacifistes...

Adonis leva un sourcil, étonné. Il était normal que les gens un minimum renseignés sur les races de ce monde devinent par ses cornes et ses yeux rouges qu'il était démon, mais comment cet ange pouvait-il savoir qu'il était Aer ?
Cependant, il ne posa pas la question qui lui brûlait les lèvres, préférant répondre par un trait d'humour méprisant à l'ange, mais tout en gardant une voix aimable et noble.

Tout comme il est rare de voir des anges avec des épées aussi grandes qu'eux...

Ses yeux se plissèrent, et ses lèvres formèrent un sourire mauvais tandis qu'il commentait les paroles de l'ange :

Une présence suspecte, avez-vous dit ? Vous paraîtrais-je donc suspect, alors que je suis de votre clan ?

Cette fois, c'en était trop ! Comment cet ange pouvait-il se permettre de le juger, comment osait-il lui reprocher de cacher ses sentiments ?
Adonis activa son pouvoir de télékynésie, arrachant à distance le sabre des mains d'Ulkan, et il le planta devant lui, certain de ne pas pouvoir le porter, c'était simplement pour le désarmer.

Que les choses soient bien claire, monsieur Tsukuyomi.
Je suis un démon, vous êtes un ange. Mais nous sommes tous deux Aers. Voilà pourquoi je modère mes paroles, et cache mes sentiments, comme vous dites.
J'évite de vous dire ouvertement que j'abhorre ceux de votre race, car je tiens à éviter les combats violents et irréfléchis. Tandis que vous, n'avez cessé de faire des allusions et de vous moquer de ma nature.
Comment pourriez-vous savoir par exemple que votre grande arme fait ma taille, alors que vous êtes aveugle ? Oui, je l'ai repéré.
Alors maintenant que vous n'avez plus une attitude belliqueuse envers moi, je puis consentir à me présenter, si vous êtes capable de m'écouter.

Adonis était content d'avoir mouché l'ange par son discours. Il n'avait donc pas perdu ses talents d'orateur.
Mais quand Ulkan lui proposa de lui offrir à boire, il le dévisagea avec un sourire mi-étonné, mi-méprisant, comme s'il le prenait soudainement pour un fou.

Non, je ne sais pas où trouver une taverne par ici, et non je n'irai pas boire un coup avec vous. Je n'y tiens pas.
Je vous ai pourtant dit que j'abhorrais ceux de votre race, et ce n'est pas parce que je suis sage que je vais me montrer amical avec un ange.
Je vous pris donc de m'excuser, car je vais prendre congé.

Avec tout cela, en fin de compte, il ne s'était pas présenté. Il avait toujours réussi à se débrouiller pour faire oublier aux autres les questions auxquelles il ne souhaitait pas répondre.

Quand l'ange s'envola, Adonis eut un petit sourire, heureux en fin de compte de s'en être débarrassé sans avoir eu à se battre, mais quand il se rendit compte qu'il était parti pour laisser le démon se dépatouiller avec un humain questionneur, il lança un regard assassin à Ulkan qui n'était déjà plus qu'un petit point blanc dans le ciel.
Puis il poussa un soupir, se tourna vers le nouveau-venu, et soutint son regard.

Est-ce qu'il y a marqué "service de renseignements" sur mon front ?
Je suis un démon, D.E.M.O.N (il épela chaque lettre), je ne suis pas gentil, je ne vais pas dans les tavernes avec les anges, et je ne donne pas à manger aux chats des humains !

Enervé, il se détourna de lui, et commença à partir.

Adonis eut un rictus de grimace quand le jeune homme lui dit être du clan Pyro, mais ce rictus se transforma en léger sourire quand il précisa ne pas avoir le sentiment d'y appartenir. Puis il lui demanda de se présenter à son tour, ce qu'il fit, mais sans courbette préliminaire.

Je suis Adonis Puppeteer.
Quant à mon clan, je suis sensé faire partie du clan Aer, depuis peu.

Depuis peu, cela signifiait en réalité vingt ans, mais c'était peu pour le démon qui avait plus d'un siècle.
Avec un peu de chance, cet humain n'avait pas entendu parler de lui.

Vous avez donc une affinité avec le feu... Quelle est-elle ?

Adonis regarda Erkios s'enflammer le bras en levant légèrement un sourcil. Il n'était guère impressionné, lui aussi savait le faire... avant...
Il eut un rictus de dédain, et se détourna d'Erkios pour fixer la grande étendue d'eau sous l'Arche.
Puis vint la question à laquelle il n'avait pas du tout envie de répondre... qu'est-ce qui justifiait son appartenance à ce clan qu'il n'aimait pas ?
Sans se retourner, continuant d'observer l'eau, il répondit :

Une erreur de parcours.

Adonis délaissa le lac, et se retourna vers l'humain, les sourcils froncés et un léger sourire aux lèvres.
Cet humain était imprévisible, il semblait gentil en apparence, mais il nourrissait des desseins de puissance...
L'ex-démon se demanda s'il plaisantait, mais il y avait comme une lueur dans son regard qui lui fit penser qu'au fond il était sérieux.

Dominer le monde... qui n'en a pas rêvé...
Mais malheureusement, je crains de devoir décliner votre alléchante proposition.
Dommage jeune homme, vous m'auriez demandé il y a vingt ans... j'aurais probablement accepté. Mais actuellement, je ne puis vous être d'aucune aide pour assouvir vos besoins de domination.

Adonis lui rendit son sourire, et l'observa longtemps avant de répondre, comme s'il réfléchissait à la question.

L'idée est intéressante. En somme vous souhaitez former une armée neutre pour éradiquer le chauvinisme élémentaire...

Je ne suis plus un démon. Mais plus intelligent que la moyenne, je le suis en effet.
Et j'ai quelques capacités intéressantes, dont un don d'orateur.
Etre un conseiller ne m'intéresse pas. Je pense que pour mener à bien une si glorieuse mais néanmoins laborieuse entreprise, prendre le contrôle de villages n'est pas une solution.
Je peux me charger d'une partie du recrutement. Ecumer terres et mers à la recherche des personnes intéressantes et intéressées.
Cela vous conviendrait-il ?

En fin de compte, le marionnettiste était tenté par cette idée. Etant rejeté de deux clans à la fois, l'idée de combattre ceux qui sont trop attachés aux éléments lui plaisait bien. Et peut-être ainsi pourrait-il trouver sa place en ce monde...